Je récite son blog 'éveil' au sujet de son anxiété face à la crise climatique et le rôle des arts et de la culture dans la sensibilisation environnementale.
Claude Schryer
Cette émission est une version sonore de mon blogue de mai 2019, éveil (voir le billet original ci-dessous).
éveil est la pierre de touche du balado conscient dans lequel je partage mon anxiété face à la crise climatique et ma conviction que les arts et la culture peuvent jouer un rôle essentiel dans la sensibilisation du public aux problématiques environnementales et pour passer de la conscience à l’action.
éveil s'articule autour du choix d’université de notre fille de 17 ans et de la lutte de sa génération avec les conséquences de la crise climatique.
Je cite 7 écrivains dans ce blog et j’aimerais les reconnaitre: Mayer Hillman, Paola Antonelli, Greta Thunberg, Emily Johnston, George Marshall, Joan Sullivan et Richard Wagamese.
Les épisodes futurs du balado conscient seront soit des essais sonores, comme celui-ci, ou des entretiens avec des leaders dans le domaine des arts, de la culture et de l’environnement de partout au monde.
Pour plus d'informations sur le balado conscient, consultez http://www.conscient.ca.
An English language version of this episode is also available. See the conscient podcast episode 1.
J’aimerais remercier la consultante en podcast Ayesha Barmania, l’artiste et écrivain sur le changement climatique Joan Sullivan, mon conjointe Sabrina Mathews, ma fille Clara and mon fils Riel pour leur soutien.
Merci aussi à Danielle Boutet, qui a traduit le texte de l’anglais vers le français.
Merci de votre écoute.
Claude Schryer
Note: See eo1 terrified for the English version of this episode.
Le Billet original de mai 2019
éveil
En mai 2019, ma bulle de déni climatique a éclaté. Ce fut une expérience terrifiante et dépaysantante qui m'a fait questionner toute ma vie. Rétrospectivement, je réalise que c'était un genre de cadeau zen d’« éveil terrifié », de « vision claire », mais à l'époque, j’étais pétrifié d'émotion et d’effroi.
Qu'est-ce qui a fait éclater ma bulle ?
Je me sens obligé de partager cette expérience personnelle, dans l'espoir qu'elle puisse aider d'autres personnes qui luttent également avec la crise actuelle de durabilité et qui cherchent une voie à suivre...
Le 13 mai au matin, je suis tombé sur un article du Guardian, We're Doomed : Mayer Hillman on the climate reality no one else will dare mention, où Hillman prédisait que « le résultat est la mort; c'est la fin de pratiquement toute vie sur la planète tellement nous sommes dépendants des combustibles fossiles. Il est impossible d’inverser le processus qui fait fondre les calottes glaciaires ».
Ka Boom !
Les commentaires de Hillman ont déclenché une réaction viscérale qui m'a réveillé d'une torpeur émotionnelle et a instantanément transformé ma vision du monde. Je pouvais maintenant ressentir ce qu'auparavant je pouvais seulement penser. Absorber cette déclaration, « le résultat est la mort », m'a transi jusqu’aux os. J’ai été éjecté de ma bulle de déni, pour entrer à pleine vitesse dans la réalité.
En posant cette vision autour de moi, je n'arrêtais pas de me dire : pourquoi parler de choses si triviales quand le monde est en feu ? Pourquoi les gens vivent-ils dans leur bulle sécure quand les preuves de l'apocalypse sont si évidentes ? Y a-t-il quelqu'espoir ?
Je me suis souvenu de la commissaire Paola Antonelli, qui disait que « les humains vont inévitablement disparaître dû à l’effondrement de l'environnement, mais nous avons le pouvoir de nous concevoir une ‘belle fin’. »
Une belle fin : Sommes-nous rendus là ? Et si oui, à quoi ça ressemble ?
Le 14 mai, notre fille de 17 ans réfléchissait à son choix de programme universitaire. Elle était à une croisée des chemins et mon cœur saignait pour elle. Douée en sciences, elle voulait s’orienter vers le domaine où ses compétences auraient le plus d'impact sur la crise du développement durable : génie ou sciences de la terre ? Quand je lui ai demandé ce qu'elle voulait faire - quelle est ta passion ? - elle a répondu, l’air résigné, que cela n'avait pas vraiment d'importance.
Comme beaucoup d’autres de sa génération, elle est centrée sur ce qu'il faudrait faire, pas tant sur ce qu'elle voudrait faire. Les paroles d'une autre adolescente, l’activiste Greta Thunberg, me sont venues à l'esprit : « la crise du changement climatique a déjà été résolue. Nous avons les faits et les solutions. Tout ce qu’il faut maintenant, c'est nous réveiller et changer. »
J'ai contacté la photographe et écrivaine Joan Sullivan, qui m'a présenté l'essai d'Emily Johnston, Loving a Vanishing World : « Nous ne pourrons pas laisser ce monde meilleur que nous l'avons trouvé - il longtemps encore pire que maintenant. Mais nous pouvons infléchir la direction des choses, et nous savons comment commencer à compenser ce que nous avons fait. Nous avons du beau travail à faire avant de mourir. »
Je me souviens avoir dit à ma fille cette semaine-là que je travaillais sur l'art et les stratégies liées au changement climatique et elle m'a dit, avec émotion : merci de faire quelque chose. Chaque fois que j’y repense, c’est avec un mélange de tristesse et d'espoir.
Le 15 mai, j'ai continué à lire. J'ai absorbé la déclaration du GIEC d'octobre 2018 selon laquelle « des changements rapides, profonds et sans précédent sont nécessaires dans tous les aspects de la société », ce qui signifie toutrepenser. J'ai contemplé le lugubre Uninhabitable Earth: A Story of the Future de David Wallace-Wells et l'encourageant Drawdown: 100 Solutions to Reverse Global Warming.
J'ai échangé avec des amis et des collègues. Un ami a souligné les dangers de « l'abus psychologique du le-monde-est-foutu », tandis qu'un autre a noté que « l'action et un sens de la communauté avec des esprits aux mêmes idées s’avèrent un antidote au désespoir ». Des collègues artistes m'ont rappelé que les arts ont le pouvoir unique de transformer les conversations sur les changements climatiques et les traduire en actions. Je suis d'accord, mais j'avais d’abord besoin de déballer mes émotions.
George Marshall, avec Don’t Even Think About It: Why Our Brains Are Wired to Ignore Climate Change,a aidé. Il voit le changement climatique comme un « problème parfait », qui confond la psyché par la « désattention » cognitive. Autrement dit, nous avons de la difficulté à identifier et à gérer les problèmes « invisibles », comme le changement climatique; nous avons plutôt tendance à nous concentrer sur les menaces immédiates et concrètes.
Marshall conclut que nous devons bâtir la confiance face aux changements climatiques en communiquant des valeurs communes (p. ex. autorité, responsabilité, loyauté) plutôt que de vouloir persuader par les faits ou l’argument écologique. Il semble que nos esprits sont constitués de façon à croire des récits attrayants s’adressant à notre « cerveau émotionnel » et qu’il nous faut des conteurs passionnés pour briser nos habitudes, imaginer d’autres valeurs et envisager de nouvelles perspectives.
Je me suis souvenu que la prophétie apocalyptique de Hillman disait aussi que « tellement d'aspects de la vie dépendent des combustibles fossiles, mais pas la musique, l'amour, l'éducation ou le bonheur ». J’ai compris clairement alors que c’était là la contribution des arts et de la culture, avec leur pouvoir de charmer, d'éduquer, de provoquer, de stimuler, de consoler, d'inspirer et d'influencer.
Enfin, un chemin au-delà du pessimisme et de l'obscurité....
Le 17 mai, j'étais soulagé, mais aussi déçu, de constater que j’avais plus cette forte connexion émotionnelle avec la crise climatique et que j'avais resombré dans ma vie d’inconscience et d’anxiété.
Cependant, je n’allais pas retourner dans le déni et comme il me fallait encore fonctionner dans la vie de tous les jours, j'ai pensé à un plan :
- Panique ? Non.
- Vivre la vie en pleine conscience ? Oui
- M'engager dans des « changements rapides, profonds et sans précédent » ? Oui
- Perdre espoir pour le seul monde que nous avons ?
J'aime bien l’idée de Joan Sullivan à ce sujet : « J’aimerais passer mes derniers mois ou mes dernières années à faire tout ce que je peux, à ma façon, pour faire de ce monde un meilleur endroit pour ma fille, pour les abeilles, pour les forêts. Même si nous sommes condamnés, et je pense que nous le sommes, je refuse de ne rien faire... »
Emily Johnston suggère que si nous pouvons prendre notre retraite, alors le monde a besoin de nous. Il a besoin de nous maintenant, dit-elle, car tout ce que nous faisons cette année, ou l’année prochaine, « aura dix fois plus d’impact que la même chose dans dix ans ».
Je vais donc prendre ma retraite dès que possible et me battre pour un monde durable avec l'outil le plus puissant que je connaisse : la pratique artistique. En d'autres termes, concevoir cette « belle fin » (tout en essayant de toutes mes forces de l'éviter).
Et dans l’obscurité – car ça s'obscurcira certainement –, je me tournerai vers l'art et le savoir traditionnel pour m'inspirer et m'enraciner, comme le suggère l'écrivain autochtone Richard Wagamese (de For Joshua) :
Nous ne pouvons pas rallumer les feux de nos villages d’antan, mais nous transportons leurs braises dans nos cœurs et nous apprenons à les rallumer dans un monde nouveau. Il est possible de recréer notre esprit de communauté, de parenté ou de relation avec toutes choses, d'union avec la terre, d'harmonie avec l'univers, d'équilibre dans la vie, d'humilité, d'honnêteté, de vérité et de sagesse dans toutes nos relations mutuelles.
*
Merci à tous les auteurs cités dans cet article, à Sabrina Mathews et Joan Sullivan pour leur aide inestimable dans la rédaction et à Danielle Boutet pour la traduction.
éveil
En mai 2019, ma bulle de déni climatique a éclaté. Ce fut une expérience terrifiante et dépaysantante qui m'a fait questionner toute ma vie. Rétrospectivement, je réalise que c'était un genre de cadeau zen d’« éveil terrifié », de « vision claire », mais à l'époque, j’étais pétrifié d'émotion et d’effroi.
Qu'est-ce qui a fait éclater ma bulle ?
Je me sens obligé de partager cette expérience personnelle, dans l'espoir qu'elle puisse aider d'autres personnes qui luttent également avec la crise actuelle de durabilité et qui cherchent une voie à suivre...
Le 13 mai au matin, je suis tombé sur un article du Guardian, We're Doomed : Mayer Hillman on the climate reality no one else will dare mention, où Hillman prédisait que « le résultat est la mort; c'est la fin de pratiquement toute vie sur la planète tellement nous sommes dépendants des combustibles fossiles. Il est impossible d’inverser le processus qui fait fondre les calottes glaciaires ».
Ka Boom !
Les commentaires de Hillman ont déclenché une réaction viscérale qui m'a réveillé d'une torpeur émotionnelle et a instantanément transformé ma vision du monde. Je pouvais maintenant ressentir ce qu'auparavant je pouvais seulement penser. Absorber cette déclaration, « le résultat est la mort », m'a transi jusqu’aux os. J’ai été éjecté de ma bulle de déni, pour entrer à pleine vitesse dans la réalité.
En posant cette vision autour de moi, je n'arrêtais pas de me dire : pourquoi parler de choses si triviales quand le monde est en feu ? Pourquoi les gens vivent-ils dans leur bulle sécure quand les preuves de l'apocalypse sont si évidentes ? Y a-t-il quelqu'espoir ?
Je me suis souvenu de la commissaire Paola Antonelli, qui disait que « les humains vont inévitablement disparaître dû à l’effondrement de l'environnement, mais nous avons le pouvoir de nous concevoir une ‘belle fin’. »
Une belle fin : Sommes-nous rendus là ? Et si oui, à quoi ça ressemble ?
Le 14 mai, notre fille de 17 ans réfléchissait à son choix de programme universitaire. Elle était à une croisée des chemins et mon cœur saignait pour elle. Douée en sciences, elle voulait s’orienter vers le domaine où ses compétences auraient le plus d'impact sur la crise du développement durable : génie ou sciences de la terre ? Quand je lui ai demandé ce qu'elle voulait faire - quelle est ta passion ? - elle a répondu, l’air résigné, que cela n'avait pas vraiment d'importance.
Comme beaucoup d’autres de sa génération, elle est centrée sur ce qu'il faudrait faire, pas tant sur ce qu'elle voudrait faire. Les paroles d'une autre adolescente, l’activiste Greta Thunberg, me sont venues à l'esprit : « la crise du changement climatique a déjà été résolue. Nous avons les faits et les solutions. Tout ce qu’il faut maintenant, c'est nous réveiller et changer. »
J'ai contacté la photographe et écrivaine Joan Sullivan, qui m'a présenté l'essai d'Emily Johnston, Loving a Vanishing World : « Nous ne pourrons pas laisser ce monde meilleur que nous l'avons trouvé - il longtemps encore pire que maintenant. Mais nous pouvons infléchir la direction des choses, et nous savons comment commencer à compenser ce que nous avons fait. Nous avons du beau travail à faire avant de mourir. »
Je me souviens avoir dit à ma fille cette semaine-là que je travaillais sur l'art et les stratégies liées au changement climatique et elle m'a dit, avec émotion : merci de faire quelque chose. Chaque fois que j’y repense, c’est avec un mélange de tristesse et d'espoir.
Le 15 mai, j'ai continué à lire. J'ai absorbé la déclaration du GIEC d'octobre 2018 selon laquelle « des changements rapides, profonds et sans précédent sont nécessaires dans tous les aspects de la société », ce qui signifie toutrepenser. J'ai contemplé le lugubre Uninhabitable Earth: A Story of the Future de David Wallace-Wells et l'encourageant Drawdown: 100 Solutions to Reverse Global Warming.
J'ai échangé avec des amis et des collègues. Un ami a souligné les dangers de « l'abus psychologique du le-monde-est-foutu », tandis qu'un autre a noté que « l'action et un sens de la communauté avec des esprits aux mêmes idées s’avèrent un antidote au désespoir ». Des collègues artistes m'ont rappelé que les arts ont le pouvoir unique de transformer les conversations sur les changements climatiques et les traduire en actions. Je suis d'accord, mais j'avais d’abord besoin de déballer mes émotions.
George Marshall, avec Don’t Even Think About It: Why Our Brains Are Wired to Ignore Climate Change,a aidé. Il voit le changement climatique comme un « problème parfait », qui confond la psyché par la « désattention » cognitive. Autrement dit, nous avons de la difficulté à identifier et à gérer les problèmes « invisibles », comme le changement climatique; nous avons plutôt tendance à nous concentrer sur les menaces immédiates et concrètes.
Marshall conclut que nous devons bâtir la confiance face aux changements climatiques en communiquant des valeurs communes (p. ex. autorité, responsabilité, loyauté) plutôt que de vouloir persuader par les faits ou l’argument écologique. Il semble que nos esprits sont constitués de façon à croire des récits attrayants s’adressant à notre « cerveau émotionnel » et qu’il nous faut des conteurs passionnés pour briser nos habitudes, imaginer d’autres valeurs et envisager de nouvelles perspectives.
Je me suis souvenu que la prophétie apocalyptique de Hillman disait aussi que « tellement d'aspects de la vie dépendent des combustibles fossiles, mais pas la musique, l'amour, l'éducation ou le bonheur ». J’ai compris clairement alors que c’était là la contribution des arts et de la culture, avec leur pouvoir de charmer, d'éduquer, de provoquer, de stimuler, de consoler, d'inspirer et d'influencer.
Enfin, un chemin au-delà du pessimisme et de l'obscurité....
Le 17 mai, j'étais soulagé, mais aussi déçu, de constater que j’avais plus cette forte connexion émotionnelle avec la crise climatique et que j'avais resombré dans ma vie d’inconscience et d’anxiété.
Cependant, je n’allais pas retourner dans le déni et comme il me fallait encore fonctionner dans la vie de tous les jours, j'ai pensé à un plan :
- Panique ? Non.
- Vivre la vie en pleine conscience ? Oui
- M'engager dans des « changements rapides, profonds et sans précédent » ? Oui
- Perdre espoir pour le seul monde que nous avons ?
J'aime bien l’idée de Joan Sullivan à ce sujet : « J’aimerais passer mes derniers mois ou mes dernières années à faire tout ce que je peux, à ma façon, pour faire de ce monde un meilleur endroit pour ma fille, pour les abeilles, pour les forêts. Même si nous sommes condamnés, et je pense que nous le sommes, je refuse de ne rien faire... »
Emily Johnston suggère que si nous pouvons prendre notre retraite, alors le monde a besoin de nous. Il a besoin de nous maintenant, dit-elle, car tout ce que nous faisons cette année, ou l’année prochaine, « aura dix fois plus d’impact que la même chose dans dix ans ».
Je vais donc prendre ma retraite dès que possible et me battre pour un monde durable avec l'outil le plus puissant que je connaisse : la pratique artistique. En d'autres termes, concevoir cette « belle fin » (tout en essayant de toutes mes forces de l'éviter).
Et dans l’obscurité – car ça s'obscurcira certainement –, je me tournerai vers l'art et le savoir traditionnel pour m'inspirer et m'enraciner, comme le suggère l'écrivain autochtone Richard Wagamese (de For Joshua) :
Nous ne pouvons pas rallumer les feux de nos villages d’antan, mais nous transportons leurs braises dans nos cœurs et nous apprenons à les rallumer dans un monde nouveau. Il est possible de recréer notre esprit de communauté, de parenté ou de relation avec toutes choses, d'union avec la terre, d'harmonie avec l'univers, d'équilibre dans la vie, d'humilité, d'honnêteté, de vérité et de sagesse dans toutes nos relations mutuelles.