balado conscient

é113 promenade sonore (partie 2) - comment approfondir notre écoute ?

Episode Summary

une promenade sonore sur les promenades sonores (partie 2) avec l'artiste sonore Jacek Smolicki à l'Atlantic Center for the Arts, New Smyrna Beach, Floride, 24 mars 2023

Episode Notes

balado conscient, épisode 113. Je suis au Atlantic Center for the Arts à New Smyrna Beach, en Floride, au Forum mondial pour l’écologie sonore, 25 mars 2023. Hier j’ai fait une promenade sonore remarquable avec des leaders de ce mouvement, l’artiste polonais Jacek Smolicki. Jacek ne parle pas français et donc au lieu de faire une narration et une traduction au-dessus de sa voix, j’ai décidé de vous présenter la version originale en anglais puisque les sons sont imbriqués dans sa narration et c’est mieux d’entendre l’original. J’ai mis par contre une traduction dans les notes de l’épisode. Alors c’est en deux parties. La partie ‘a’ est notre conversation originale et la partie ‘b’ est quand un train s’est manifesté et a décidé de faire une 2e partie de façon improvisée. Les deux ensembles donnent un portrait de la pratique artistique et la méthode d'écoute de la promenade sonore. Bonne écoute.

(Jacek Smolicki)

Mon approche de la promenade sonore et la question ultime que je pose sont les suivantes : comment pouvons-nous nous éloigner de la promenader sonore en tant qu'expérience esthétique ou artistique encadrée pour en faire une pratique existentielle ou quelque chose qui est simplement ancré dans notre vie quotidienne et que nous n'avons plus besoin d'encadrer. Cela fait tout simplement partie de notre mode de vie.

(Claude Schryer)

Peux-tu me donner un exemple ? 

(Jacek Smolicki)

Un exemple académique serait les concepts développés par Steven Feld, l'acoustemologie. Il s'agit d'une situation où l'écoute, une sorte de manière sonore d'être dans le monde, fait partie de votre culture, de votre existence. Vous ne vous dites pas, ok, je vais écouter le monde plus attentivement à partir de maintenant pendant encore une heure, et ensuite je peux retourner à ma vie de tous les jours, mais vous continuez à écouter, n'est-ce pas ? Une sorte de sensibilité sonore est l'un des moyens les plus importants de comprendre le monde, par opposition au fait d'être relégué à l'arrière-plan, puis d'être relevé dans ce genre de situations de cadre, comme avec une promenade sonore.

(Claude Schryer)

J'ai fait de la promenade sonore de manière analytique, en essayant de comprendre les sons, où ils se trouvent et ce qu'ils représentent, mais il y a aussi un facteur d'absorption qui permet aux sons de nous parler dans leur propre langue, n'est-ce pas ? Au lieu d'essayer de les comprendre rationnellement. Alors, si nous nous arrêtons ici et que nous écoutons, qu'entendez-vous ? 

(Jacek Smolicki)

J'entends la coexistence de la culture et de la nature et, en même temps, une sorte de friction inhérente entre deux domaines qui, en fait, n'en font qu'un et que nous essayons de séparer. Nous avons un peu parlé de cette 'positionalité' et nous avons entendu le sifflement du train. D'un certain point de vue, nous entendons certaines personnes parler de ce son comme étant très apaisant et rassurant, mais si l'on pense aux populations autochtones, ce son peut avoir une toute autre signification. Il s'agit d'une forme de frontière et d'une sorte de division, de découpage de la terre et de prise de position sur la façon dont la terre doit être traversée et utilisée. Cela a donc une connotation violente si l'on se place dans cette perspective et si l'on écoute de ce point de vue. Je pense qu'il s'agit là d'une forme de sensibilité. En outre, dans le cadre de l'enseignement, il faut être capable de prendre en considération cette sensibilité lorsque nous essayons d'évaluer ou d'attribuer une valeur à différents sons. Je pense que Dylan Robinson parle d'oscillation. Je crois qu'il appelle cela être capable d'osciller constamment, de passer d'une façon de comprendre le son à une autre. Ce faisant, cela déstabilise certaines certitudes. Je pense que cela caractérise aussi notre façon d'écouter et, en faisant cela, de s'ouvrir à ces autres formes de compréhensions et de perceptions... 

(Claude Schryer)

Et poser des questions. Vous savez, nous étions ensemble dans un panel il y a quelques jours (à Stetson University) et nous avons posé la question suivante : 'comment l'écoute peut-elle aider le monde en crise' ? C'est une question ouverte, car chacun a sa propre façon d'écouter, mais il y a certainement des façons plus profondes d'écouter que nous pouvons apprendre et désapprendre au fur et à mesure que nous avançons sur ces questions. 

(Jacek Smolicki)

Exactement, et nous avons beaucoup parlé d'espoir. Nous avons beaucoup parlé du fait que cette ouverture est presque intrinsèquement bonne. J'ai ce sentiment que les gens disent que si nous ouvrons notre écoute et si nous invitons d'autres perspectives, alors nous faisons quelque chose de bien. Mais je pense que cette ouverture s'accompagne aussi de certaines responsabilités, n'est-ce pas ? J'aime à penser que plus nous nous ouvrons à ces différentes perspectives, plus nous sommes perturbés... En fait, nous devrions être plus préoccupés que satisfaits et calmes car il y a cet aspect perturbateur de l'écoute dont Hildegard Weterkamp a parlé. Mais lorsque nous nous ouvrons, lorsque nous incluons d'autres perspectives, nous perturbons en même temps quelque chose, n'est-ce pas ? Nous devrions en même temps nous appeler à l'action et devenir plus responsables. Je pense donc qu'il y a une sorte d'obligation qui devrait suivre cet acte d'ouverture et d'approfondissement de notre écoute.

(Claude Schryer)

Je suis d'accord. Merci pour ce moment. Nous allons écouter à nouveau.

*

Cet épisode avec l'artiste Jacek Smolicki a été enregistré le vendredi 24 mars 2023 à 8h44  à l'Atlantic Center for the Arts à New Smyrna Beach, Floride. 

Il s'agit d'une marche sonore sur la marche sonore, mais aussi sur le rôle de l'écologie acoustique dans la crise écologique. 

Après avoir terminé notre conversation de 5 minutes (é113), nous avons entendu un train passer et avons poursuivi notre conversation, qui constitue cette deuxième partie de cet épisode.

J'encourage les auditeurs à faire leurs propres promenades sonores. Il existe de nombreux guides et méthodes. L'un de mes préférés est Soundwalking de Hildegard Westerkamp mais aussi le nouveau livre de Jacek Soundwalking through time, space and technologies.

Je suis reconnaissant et responsable envers la terre et le travail humain qui m'ont offert le privilège de produire cet épisode (y compris tous les matériaux toxiques et les processus d'extraction à l'origine des ordinateurs, des enregistreurs, des transports et des infrastructures qui rendent ce balado possible).

Mon geste de réciprocité pour cet épisode est un don à Children and Youth Artists' Grief Deck! Artists’ Literacies Institute.

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Jacek Smolicki (né sous la loi martiale à Cracovie) est un artiste pluridisciplinaire, un concepteur, un chercheur et un éducateur. Son travail apporte des dimensions temporelles, existentielles et critiques aux pratiques et technologies d'écoute, d'enregistrement et d'archivage dans divers contextes.

Outre son travail sur les archives historiques, les médias et le patrimoine, Smolicki développe d'autres modes de détection, d'enregistrement et de médiation d'histoires et de signaux provenant de sites, d'échelles et de temporalités spécifiques. Son travail se manifeste par des promenades sonores, des compositions de paysages sonores, diverses formes d'écriture, des performances adaptées aux sites, des para-archives expérimentales et des installations audiovisuelles.

Il a joué, publié et exposé au niveau international (par exemple à In-Sonora Madrid, à la Biennale internationale de la jeunesse artistique de Moscou, à AudioArt Kraków, à Ars Electronica Linz et au Musée historique de Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo). Son vaste champ de travail artistique et de recherche sensible aux sites comprend des projets concernant les paysages sonores du cercle arctique suédois, la côte pacifique canadienne, le plus haut mât radio en bois du monde à Gliwice, les témoignages d'ovnis de l'Archive for the Unexplained en Suède, le ghetto juif de Cracovie, les anciens sites des guerres yougoslaves, la culture du busking de Madrid et le complexe de l'usine d'Alfred Nobel à Stockholm, parmi beaucoup d'autres lieux.

En 2017, il a obtenu son doctorat en médias et communications à l'École des arts et de la communication de l'Université de Malmö, où il était membre de Living Archives, un projet de recherche financé par le Conseil suédois de la recherche.

Entre 2020 et 2023, Smolicki poursuit un postdoctorat international financé par le Conseil suédois de la recherche. Situé à l'Université de Linköping en Suède, à l'Université Simon Fraser à Vancouver, au Canada, et à Harvard, aux États-Unis, sa recherche explore l'histoire et les perspectives de l'enregistrement sur le terrain et des pratiques de marche sonore du point de vue des arts, des humanités environnementales et de la philosophie de la technologie.

En 2022/2023, il est chercheur invité Fulbright à Harvard.

Il est également chercheur associé à l'Informatics and Media Hub for Digital Existence à l'université d'Uppsala. Depuis janvier 2020, il est membre de BioMe, un projet de recherche qui étudie les implications éthiques des technologies de l'IA dans les domaines de la vie quotidienne. Smolicki explore les cultures de capture sonore et l'impact des technologies de l'IA sur les voix humaines et autres que humaines.

Il est cofondateur du Walking Festival of Sound, un événement transdisciplinaire et nomade qui explore le rôle critique et réflexif de la marche et de l'écoute de notre environnement quotidien.

Depuis 2008, Smolicki travaille sur le projet On-Going, une expérimentation systématique de diverses techniques et technologies d'enregistrement conduisant à une para-archive à multiples facettes de la vie quotidienne, de la culture et de l'environnement contemporains. Le projet On-Going comprend Minuting, un enregistrement de paysages sonores publics réalisé quotidiennement depuis juillet 2010, pour lequel il a reçu le prix principal lors de la conférence de la Society for Artistic Research en 2022.

Pour plus d'informations, voir 

https://www.smolicki.com/index.html