Ma conversation avec l’artiste autochtone France Trépanier sur le colonialisme, les cultures autochtones, la crise écologique, le temps, l’art, l’écoute, les rêves et l’imagination
- Je pense que ce cycle du colonialisme, et de ce que ça a apporté, on est en train d'arriver à la fin de ce cycle là aussi, et avec le recul, on va s'apercevoir que cela a été un tout petit instant dans un espace beaucoup plus vaste, et qu’on est en train de retourner à des connaissances très profondes. Qu'est-ce que ça veut dire de vivre ici sur cette planète? Ce que ça implique comme possibilité, mais comme responsabilité aussi de maintenir les relations harmonieuses? Moi, je dis que suis la solution à la crise climatique c'est cardiaque. Ça va passer par le cœur. On parle d'amour avec la planète. C'est ça, le travail.
france trépanier, balado conscient, 7 juin, 2021, colombie britannique
France Trépanier est artiste en arts visuels, commissaire et chercheure d’ascendance Kanien’kéha:ka et française. Elle signe aussi de nombreux essais et articles qui ont été publiés dans des journaux et des magazines. Elle a travaillé au Conseil des arts du Canada, au ministère du Patrimoine canadien, à l’ambassade du Canada à Paris et au Centre Culturel canadien à Paris. Elle est aussi co-directrice, avec Chris Creighton-Kelly de https://www.primary-colours.ca.
Je connais France depuis de nombreuses années dans la communauté artistique et par le biais du Conseil des arts du Canada. Notre conversation m'a profondément touchée. Je me souviens que pendant l'enregistrement, j'ai senti mes épaules se détendre et ma respiration se ralentir alors qu'elle parlait du temps et de la vision du monde autochtone.
Voici quelques extraits de notre conversation que j’aimerais souligner :
- Pour moi, le défi de l'enjeu écologique ou de la crise écologique dans laquelle on se trouve, c'est de bien comprendre la source du problème et de pas juste de mettre un pansement, de pas juste essayer de faire des petits ajustements sur nos manières de vivre, mais de vraiment porter un regard sur la nature même du problème et pour moi, je pense qu'il s'est passé quelque chose au moment du contact, au moment où les Européens sont arrivés. Ils sont arrivés avec cette notion-là de propriété. On parle de terra nullius, l'idée qu'ils pouvaient s'approprier les territoires qui étaient 'inhabités' (je mets des guillemets sur inhabités) et je pense que ça a été notre première collision de vision du monde.
Vision éurocentrique des pratiques artistiques
- En fait, si on prend encore une vue allongée de la façon dont la vision éurocentrique des pratiques artistiques s'est imposée sur les pratiques matérielles des cultures du monde. Ça va être un tout petit instant dans l'histoire. Cette idée des disciplines, la manière dont la vision eurocentrique a imposé des catégories, a imposé un certain élitisme des pratiques. La manière dont il a déclassifié aussi la culture matérielle des Premières Nations ou ce n'était pas possible, ce n'était pas de l'art. Les objets d'art devenaient soit des artefacts ou de l'artisanat. On a complètement déclassifié, on n'a pas compris. Je pense que les premiers arrivants ici n'ont pas compris ce qui était en face d'eux.
La vraie tragédie
- L'artiste Mike MacDonald racontait une histoire, Mike, qui est un artiste Mi'kmaq, qui plus est avec nous maintenant, a fait du travail remarquable, un artiste des nouveaux médias, il y racontait une fois un des ainés dans sa communauté. Il disait que la vraie tragédie du Canada n’est pas qu'on a empêché les gens de parler leur langue. La vraie tragédie, c'est que les nouveaux venus n'ont pas adopté les cultures d'ici. Donc il y a eu des grandes mésententes.
Réécrire le monde?
- Je pense qu'on n'a pas besoin de rien réécrire du tout. Je pense qu'on a juste besoin de porter attention et d'écouter. On a juste besoin de la fermer un peu pour un petit bout. Parce est dans la notion de 'authoring', il y a le mot 'author' et cela présuppose le mot autorité (authority) et je ne suis pas certaine que c'est de ça dont on a besoin maintenant. Je pense que c'est l'inverse. Je pense qu'il faut changer notre rapport à l’autorité. Il faut déconstruire cette idée là quand on est en train d'être les décideurs ou les maîtres de quoi que ce soit. Je ne pense pas que c'est la bonne approche. Je pense qu'il faut écouter. Je ne dis pas qu'il ne faut pas imaginer - je pense que l'imagination c'est important dans cette écoute attentive - mais de penser qu'on va réécrire, c'est peut-être un peu prétentieux.
Je tiens à remercier France d'avoir pris le temps de me parler, d'avoir partagé sa profonde connaissance des arts et de la culture autochtone, pour son engagement envers la diversité et l'équité, sa générosité et sa capacité à mettre ses immenses talents et sa sagesse au service de ceux qui en ont le plus besoin.
‘Portage’, pastel sur papier, 40’ x 60’ (2020) - France Trépanier